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[Chronique] Metal Gear Solid 5 : une conclusion ratée ? (attention, SPOILERS)

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Esthète du twist et grand mystificateur de l’histoire moderne, Hideo Kojima a fait de sa série Metal Gear un univers suspendu entre une ligne de temps…

Esthète du twist et grand mystificateur de l’histoire moderne, Hideo Kojima a fait de sa série Metal Gear un univers suspendu entre une ligne de temps réaliste et une sous-couche mêlée de fantastique et de réflexions de philo. Avec MGS 5, son monde est désormais clôt et indépendant. Une créature de 28 ans qui laisse une sacrée amertume en s’éloignant vers l’horizon.

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(Avant toute chose, il va ici être question de la fin de Metal Gear Solid V : The Phantom Pain. Bien entendu à part masochisme clinique et/ou curiosité malsaine, il vaut mieux éviter ces quelques lignes si vous n’avez pas terminé le jeu)

Désirant à tout prix clore l’arc Solid Snake dans Metal Gear Solid 4, Hideo Kojima a créé à l’époque un fourre-tout démesuré dans lequel il a tenté de faire entrer l’équivalent de plusieurs épisodes de révélations. Un objet boursouflé, parfois incohérent, souvent en désaccord avec sa propre mythologie, qui intégrait difficilement quelques phases de jeu au mélange. Avec quelques fulgurances et l’attrait de la conclusion, il restait des petites traces du savoir-faire de Kojima qui permettaient de s’accrocher aux pires monologues sur les nanomachines. Malgré tout, parvenir à mettre un point final, aussi bancal soit-il, à une telle arborescence de pistes de réflexions, de dérivations scénaristiques et de destins reste un tour de force. Une boulimie de complétion qui aurait dû se répéter logiquement dans un MGS 5, achevant lui la partie Big Boss et bouclant par là même la série. Le choix de Kojima s’est révélé tout autre, bien aidé dans ses décisions par la suppression de plusieurs missions et d’un chapitre entier.

Si la pression de Konami, qui souhaitait déjà se séparer de projets consoles coûteux pour se concentrer sur l’axe mobile/pachinko vite rentable et reclasser son personnel, n’est pas ouvertement mise en cause, la disparition d’autant de contenu n’est pas anodine. En résulte des lignes narratives de personnages sans issues, une conclusion amputée et des effets de manche qui sonnent comme un pétard sans amorce. Constellée de missions de remplissage et de baisses de rythme régulières, Metal Gear Solid 5 est certes un jeu à système, mais souffre cruellement d’une compréhension du monde ouvert vieillotte. Là où The Witcher 3 a su comment remplir un espace par de la vie et du sens, le jeu de Konami s’embarrasse d’un hub garant d’une progression artificielle et poussive. Non pas que cela en fasse un mauvais titre, il est difficilement attaquable sur son game-design général, mais Kojima n’a visiblement pas su – ou pu – intégrer son histoire à cette structure.

[nextpage title=”Un chant d’adieux bien triste”]

Certains passages marquent de façon durable, comme la scène de la quarantaine qui implique le joueur dans un cas de conscience digne de Spec-Ops : The Line, d’autres font preuve d’un sens remarquable de la mise en scène, mais sans aucun enchaînement fluide à l’échelle du jeu entier. Un hoquet qui provoque un réel détachement du joueur qui finit en quelque sorte par ne s’accrocher au scénario que par l’intermédiaire du devenir de Big Boss et l’attente de sa descente aux enfers, de l’embrasement final irréversible. Pour paraphraser un ami, c’est un jeu qui non seulement ne donne jamais au joueur ce qu’il peut attendre au regard de l’histoire, mais qui en plus lui arrache des mains le peu qu’il donne. MGS 5 ne cesse de faire référence au langage et utilise régulièrement la notion d’apatride métaphorique de Cioran, par ailleurs très intelligemment explicitée. Le paradoxe vient justement d’une citation de l’auteur sur le sujet : « Le passage à une autre langue ne peut se faire qu’au prix d’un renoncement à sa propre langue. Il faut accepter ce sacrifice ». C’est tout le problème de ce Metal Gear Solid, le dialogue qu’il entretient avec le joueur est sacrifié, son langage habituel est laissé côté au profit du seul jeu. Il ne raconte plus grand chose par l’intermédiaire de son gameplay et ne s’amuse avec le joueur que très peu finalement. Ce qui n’aurait pas été bien gênant si chaque mission avait été écrite sur un pied d’égalité.

Mais davantage que cet aspect, c’est surtout la fin du jeu qui, en tentant un ultime rapprochement via l’intrication du joueur dans la mythologie de la série, enlève autant de lien qu’elle en rajoute. En résumé, le twist final révèle que le personnage incarné par le joueur depuis le début n’est pas Big Boss, mais son « fantôme », un double créé pour masquer le véritable plan de ce dernier, à savoir créer Outer Heaven. Phantom Snake/Venom Snake, dont l’avatar est construit de toute pièce via un éditeur au tout début de l’aventure a de fait subi une opération chirurgicale pour le faire ressembler à Big Boss. C’est à dire que le message devient en substance le fait que la légende de ce soldat parfait a été forgée à partir d’un homme, à savoir le joueur. Il est donc lui aussi un Big Boss à part entière, personnel et mêlé à une épopée qu’il a porté à bout de bras. Un quatrième mur brisé littéralement à coup de poing dans les dernières secondes de la séquence, et une trouvaille grandiose. Kojima, pendant quelques instants, redevient un linguiste défricheur de ce qui fait la force d’un jeu vidéo, son aspect unique, la narration par l’interaction.

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Mais cette idée, une fois digérée, pose un lourd problème d’immersion et rend caduque la plus belle étincelle du jeu. Il est d’une part bien difficile d’accepter de jouer un personnage « lambda » une fois la trame principale terminée, tout en sachant qu’à la fois Ocelot et Miller sont au courant de la supercherie et font donc semblant de considérer Phantom Snake comme Big Boss. Pire, même sans avoir débloqué l’ensemble des conclusions possibles, l’envie de continuer à participer à cette mascarade ne tient plus. Qu’en est-il de la réaction de Venom Snake ? Aucun changement de comportement n’est visible, et à partir de cet instant, l’avatar du joueur, dont il ne connaît rien et auquel il n’est finalement pas du tout attaché – pensant qu’il est Big Boss tout le reste de la trame – devient une poupée sans vie. L’impair n’est pas simplement sur l’immersion au niveau du post-crédits de fin, mais bien sur tout ce qui s’est passé avant, notamment la phase de quarantaine. Elle est touchante et inoubliable parce qu’elle joue à la fois sur le choix interactif humain du joueur, qui est obligé de tirer sur ses hommes dont certains le supplient, mais également sur sa vision utilitariste purement ludique, à savoir la perte de niveau de chaque section d’où proviennent ces mêmes soldats. Un accord idéal entre deux types de frustration qui perd pourtant énormément de substance avec cette conclusion. Elle sous-entend que ces personnages se sont sacrifiés pour un inconnu, que leur fidélité est vaine. Au lieu de tenter d’assumer son geste, le joueur se dit simplement qu’il a été trompé et le souvenir perd de sa force pour se changer en un regret. Sentiment qui n’a rien à voir avec ce que tente de faire ressentir la scène et ce qu’elle communique en terme de gameplay/narration.

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De soldat attristé et résigné, devant supporter le poids de sa légende, le joueur devient un faire-valoir qui a trompé la confiance de ses troupes. Il était inutile de rajouter un cinquième avatar de Big Boss (3 clones, l’original et Phantom Snake) au risque de retirer de sa substance au plus important d’entre eux. Une vraie conclusion retirée, un endgame sans vie, malgré ses nombreuses qualités, Metal Gear Solid 5 dispose d’un chant d’adieux aussi triste et éteint que la berceuse de Quiet. Mais c’est peut-être ça passer la main, oublier le personnage pour le confier au joueur.

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