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[E3, les meilleurs moments] Retour sur 20 ans de pipeautage

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Un grand hall déshumanisé dans un bâtiment à l’architecture vague, chapeau haut-de-forme perdu au milieu de quatre palmiers. Une zone grise dans laquelle se retrouvent des…

Un grand hall déshumanisé dans un bâtiment à l’architecture vague, chapeau haut-de-forme perdu au milieu de quatre palmiers. Une zone grise dans laquelle se retrouvent des hommes d’affaires, des entrepreneurs aux costumes hors de prix, parlant à des actionnaires à l’œil torve. Et tout ça pour la passion du fric. Ce n’est pas sexy, pourtant c’est l’E3 et il risque encore une fois d’être suivi par de nombreux joueurs en quête de sensations. Et paradoxalement, il y en a.

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Événement se déroulant – quasiment – tous les ans à Los Angeles depuis une vingtaine d’années, l’Electronic Entertainment Expo regroupe éditeurs et studios de développement dans un but simple, présenter, rassurer et générer des pépettes. Interdisant parallèlement toute juxtaposition des mots « grand » et « messe » dans une même phrase, l’E3 est pour les joueurs une ouverture vers ce que sera l’horizon du jeu vidéo dans la ou les 2 année(s) à venir. La dimension professionnelle passe alors au second plan, ne laissant qu’une gigantesque pochette surprise à plusieurs milliards de dollars qui comme sa version à 2 balles contient aussi bien des promesses de bonheur sucré que des machins en plastoc informes. Autant source d’analyses via des stratégies qui se mettent en place pour définir une future communication ou des orientations du marché bien claires, que source de moqueries devant certains comportements inexplicables cliniquement, l’E3 concentre beaucoup de moments marquants. Avant le début des pré-conférences le 14 juin prochain et avant les applaudissements forcés aux frontières de l’hystérie, retour sur un peu plus de 20 ans de pipeautage artistique.

[nextpage title=”Saturn/PSone : Game of Thrones sur VHS”]

A une époque où le MS-DOS côtoyait un Windows 95 tremblotant, SEGA était encore en vie. Confiant en l’avenir malgré un 32X qui devenait officiellement l’un des meilleurs spot pour la poussière, le constructeur japonais commercialise sa nouvelle console 32 bits durant le mois de décembre 1994 au Japon, en face de la PlayStation. Aussi populaire que la machine de Sony, la Saturn perd pourtant du terrain après quelques mois, arrivant à l’E3 en tant que challenger puissant mais pas infaillible.

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Le marché américain est important et SEGA doit faire un coup pour chasser les jolis petits mollets de Sony. Dans le contexte feutré du salon, alors que la PlayStation est partie pour être annoncée aux USA en septembre, SEGA ne laisse rien paraître et se tient lui aussi à une commercialisation dans la même période. Rien ne semble venir chambouler cette passionnante présentation du 11 mai 95, mais le constructeur avoue que devant la demande croissante de l’Occident dont les joueurs les plus à cran importent des consoles depuis le Japon, la machine est déjà livrée aux grandes enseignes. Il suffit donc de se rendre en magasin pour la trouver. Une avance dans le calendrier destinée à imposer la Saturn d’ici septembre. Quatre mois pour s’installer, notamment avec Virtua Fighter, Daytona USA et Panzer Dragoon, par le biais de deux versions : une nue à 399 dollars et un pack avec le jeu de combat tout polygoné pour 449 dollars. Un boulevard qui sera barricadé quelques heures plus tard par Sony qui réitérera en un sens ce coup de Trafalgar en 2013 : jouer sur le prix. L’entreprise japonaise annonce sans surprise la sortie de sa PlayStation en septembre, mais au prix de 299 dollars avec un line-up de lancement plus ouvert et dense, incluant Rayman, Ridge Racer, Toshinden et surtout NBA Jam ainsi que ESPN Extreme Games, clairement destinés aux US. La sortie européenne sera à l’unisson via le rajout de WipeOut et du populaire Destruction Derby. Un désamorçage de fourberie commerciale avec une certaine force tranquille qui marque le premier coup fumant d’un E3 originel. Le tout se terminera en « Red Wedding » pour la Saturn, notamment aux Etats-Unis.

[nextpage title=”Les conférences de presse de l’enfer”]

Se trouver devant un auditoire, même si ce public est constellé de chauffeurs de salle planqués qui applaudissent au moindre DLC comme s’ils jouaient leur vie, peut générer un stress. S’il peut être positif et donner l’élan nécessaire à dynamiser son discours, c’est une réussite. S’il fait suer, trembler, raconter n’importe quoi et pousser à l’abus d’alcool, c’est ce qui va suivre. Étant donné que l’E3 n’est pas un stand de crêpes, l’image donnée à une présentation est en quelque sorte une première impression d’une qualité possible du produit. Comme tout bon camelot, il faut scénariser son objet, ancrer une envie dans l’esprit du spectateur. La différence étant que le possible manque à gagner est ici énorme. Si une mauvaise prestation ne torpille pas forcément la couverture médiatique d’un jeu ou d’une machine, elle joue sur la confiance affichée. Mais elle peut aussi générer des vagues de « meme » et paradoxalement créer une focalisation attachante sur tel ou tel ratage.

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Certains en revanche, vont tellement loin qu’ils deviennent des éléments indissociables de ce qu’est l’E3, attendus tous les ans fiévreusement par les habitants du bunker/forum NeoGAF. Reine de toutes, la conférence cimentant la notion de malaise est l’explosion en direct d’Activision lors de l’E3 2007. Présentée par l’acteur américain Jamie Kennedy, elle n’avait pourtant rien à se reprocher, à part Tony Hawk’s Proving Ground. Sa particularité est d’être une publicité parfaite contre les ravages des substances illicites et/ou de la picole. Complètement aux fraises, Kennedy n’arrive pas à aligner deux mots et réussit à mettre mal à l’aise tous les invités, le public, et le monde de l’humour. Une catastrophe fascinante qui se rapproche de la performance de la conférence Konami en 2013, toute aussi gênante mais bien plus hypnotique. Mélange de David Lynch et de Tod Browning, ce moment d’exception enchaîne happening de catcheurs fragiles, démonstration de danse possédée, et un instant de stand-up exceptionnel, assuré par Tak Fuji, à l’époque producteur de Ninety-Nine Nights 2. Son bide sur l’annonce d’un million de soldats confrontés au héros dans le jeu est désormais passé à la postérité. « Extreeeeeeeeme ! » comme il le dirait si bien. Malgré la prestation de contorsionniste de Kudo Tsunoda dans un moment prophétique de ce que seront les problèmes de Kinect, et la crise d’épilepsie de Ravi sur Wii Music, l’un des souvenirs les plus émus de l’E3 reste la sortie Monty-Pythonesque de Bill Ritch chez Sony. Même dans les pires moments de honte, un entrelacs d’événements peut confiner au sublime. Investi par une petite démonstration sur Genji 2 – Days of the Blade – Ritch s’est senti investi d’une fibre d’historien, et a commencé à expliquer en quoi le jeu était fidèle à sa période historique, Époque de Heian. Il précise alors tranquille que la bataille à venir se déroule durant la guerre réelle de Genpei et ne se démonte pas en annonçant un duel… contre un crabe géant envoyé par l’ennemi. Un réalisme à toute épreuve donc, qui a fait de cette présentation une légende du non-sens.

[nextpage title=”The Legend of Zelda Twilight Princess : la maturité”]

The Legend of Zelda : Ocarina of Time, s’il est difficilement regardable en conditions de jeu normales aujourd’hui, a marqué autant les joueurs que sa propre mythologie, en proposant un Link différent. Jusqu’ici plutôt juvéniles, les apparitions du petit Hylien ont fait place à un héros adulte, plus proche de l’aventurier solitaire de contes et légendes européens. Sans poils mais avec de la détermination, il devient iconique, et à l’orée 2000, apparaît dans un teaser qui semble présenter le prochain jeu de la licence sur Gamecube, tout bien polygoné.

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Sérieux, sombre et « mature », ce court extrait promotionnel déclenche rêves et espoirs, sabordés deux ans plus tard avec la sortie de The Wind Waker au Japon, totalement l’inverse. Rendu cartoon, personnages à taille réduite, les larmes résonnent jusqu’au firmament. Et, malgré les immenses qualité du jeu, un désamour profond. Mais l’envie durait, un bon nombre de fans attendaient malgré tout le retour prophétique d’un Link musculeux. C’est pour cela que l’annonce, lors de l’E3 2004, de The Legend of Zelda : Twilight Princess est un événement en soi, intelligemment monté par Nintendo à la manière d’une grande fresque guerrière, soulignée par le Battle Of The Mounds de Conan par Poledouris. Les ponts avec la fameuse vidéo de 2000 sont évidents et Nintendo marque un grand coup de com’. Il suffit de jeter un œil à la vidéo exposant la joie malsaine du public pour en saisir l’impact. Le souci se trouvera quelques années plus tard, en 2006, lors de la mise en vente. Distribué sous le manteau sur GameCube, le jeu est le fer de lance du début de vie de la Wii, agrémenté d’une gestion de la wiimote bien forcée. Plus vraiment dans l’ambiance de ce que veut proposer Nintendo sur sa machine familiale transgénérationnelle, The Legend of Zelda : Twilight Princess restera bien en retrait commercialement des autres licences Nintendo. Et il n’est d’ailleurs pas innocent que Nintendo ait publié une version HD du jeu récemment sur WiiU, lien parfait avec le maintien d’un Link « adulte » dans le prochain épisode de la série.

[nextpage title=”Le mensonge en HD par Guerrilla”]

Désormais, et grâce en grande partie aux magiciens du filtre Photoshop chez Ubisoft, les joueurs sont habitués à admirer des captures d’écran improbables et des vidéos avec bien trop de FPS pour être honnêtes. Les outils sont connus, les pratiques sont moquées, mais comme devant un comique de fin de soirée, le public lance des regards mi-amusés, mi-dédaigneux. Mais il est important de ne pas oublier que malgré le talent à la française, c’est bien Guerrilla qui a fait entrer le faux et usage de faux dans les hautes sphères du jeu vidéo.

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Lors de l’E3 2005, Sony diffuse une vidéo concoctée par le studio hollandais, révélant l’arrivée d’un prochain Killzone 2. Après quelques secondes, les yeux s’écarquillent et les lèvres s’entrouvrent. Les images présentées sont largement au-dessus de tout ce qui est connu ou espéré, le tout au sein d’une mise en scène travaillée, mais suffisamment libre pour laisser penser à une phase de gameplay. Aucun HUD n’est présent, mais le déroulé semble correspondre à ce que pourrait être une séquence de FPS moderne. Le doute est ainsi glissé dans les esprits sans qu’à un seul moment, ni Guerrilla, ni Sony ne communiquent sur le sujet, laissant l’excitation faire son travail de sape de l’esprit critique. C’était oublier un peu vite Jack Tretton, à l’époque Directeur Général de la branche américaine de Sony Computer Entertainment qui s’est laissé aller à une confidence au micro de Geoff Keighley. Meilleur intervenant possible pour du pipeau, Geoff a eu le droit à l’affirmation que la séquence montrée était ben et bien du gameplay. Un statut bien évidemment réfuté un peu plus tard par Guerrilla sur les forums américains de PlayStation, expliquant que cette scène reflétait les capacités techniques d’une PS3, mais n’était qu’un target render – un rendu visuel en 3D – destiné à donner une impression de ce que serait le jeu. Un tour de magie à l’honnêteté discutable qui prendra fin en 2007 avec les premières démos jouables, dont l’aspect visuel n’a plus rien, mais alors plus rien à voir. La plus grande entreprise de charme ratée de l’histoire de l’E3.

[nextpage title=”Final Fantasy partout, exclus nulle part”]

Chasse gardée de Nintendo puis de Sony, et enfin des deux parents réconciliés pour Noël, la licence Final Fantasy est un repère important dans un catalogue : marque reconnaissable, paquebot du RPG japonais international – à la différence de Dragon Quest dont l’aura est surtout forte au Japon – souvent mètre-étalon des performances d’une machine. Sans créer à chaque fois une intention d’achat immédiate de la console sur laquelle il se trouve, il participe au choix de cette dernière sur le long terme, et ce malgré les récentes déceptions des épisodes de ces années passées. Il est une caution de qualité, plus ou moins consciente, et un aspect « rassurant » pour le joueur. Tout comme un God of War, un GTA, ou un Katamari Damacy pour les plus pervers.

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Le fait est que lors de l’arrivée des consoles HD – Xbox 360 et PS3 – Square a privilégié le support de Microsoft pour des raisons à la fois de primauté et d’un appel financier de la petite entreprise familiale américaine. Soit en petite forme, soit après avoir fouillé les fonds de tiroir, Square Enix propose un trio gagnant : The Last Remnant, Infinite Undiscovery et Star Ocean : The Last Hope. Si Square s’était déjà acoquiné avec Microsoft lors de la sortie de Final Fantasy XI, c’est la première fois que l’éditeur japonais abreuve autant la marque Xbox. Mais la vraie surprise reste l’annonce, lors de l’E3 2008, de la parution du prochain Final Fantasy XIII « canonique » sur Xbox 360. A la fin de la conférence donnée par un Don Mattrick encore souriant à l’époque, Yoichi Wada, président de Square Enix, revient sur scène pour dévoiler sans pression l’arrivée de cette arme tactique de Sony sur Xbox. Annoncé uniquement sur PS3 depuis les premiers bruits circulant sur son développement, FFXIII devient également un argument de vente puissant pour la marque américaine et une norme qui se répétera ensuite avec Kingdom Hearts 3 et Final Fantasy XV quelques années plus tard. Un changement de politique surprenant dans l’inconscient collectif, mais bien moins dans la conscience financière, tant les coûts de production élevés devaient être suivis du plus de ventes possibles. Tabler alors sur une console implantée avec succès en Europe et aux Etats-Unis, devenait vitale. Les ventes Xbox 360, malgré tout, restent nettement en dessous de celles sur PS3, mettant encore plus en avant l’importance de l’attachement d’une marque à un support.

[nextpage title=”Le désastre Xbox One”]

L’E3 2013 a été celui du début de la génération actuelle de consoles, un virage qui n’a été au final qu’une grande ligne droite de nationale, morne et sans cahots. Avec une différence graphique moins tranchée, des fonctions supplémentaires qui ne révolutionnent pas grand chose, la PS4 et la Xbox One ont pris la forme épurée d’une mise à jour lambda. La Wii U faisant évidemment bande à part avec sa tablette intégrée et son retard visuel choupi.

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Premier à entrer en scène lors de l’enchaînement des conférences constructeur, Microsoft étonne l’auditoire avec une politique restrictive décorée de DRM ainsi que de limitations diverses et un prix prohibitif. Obligation de se connecter régulièrement pour pouvoir jouer hors-ligne ensuite, impossibilité de prêter ses jeux, donc de les revendre, ou même de les donner à une tierce personne, accès contraint à un même titre pour plusieurs joueurs sur sa propre machine, la vision de Microsoft irrite. Si les choix opérés sont plus intelligents et visionnaires qu’ils n’y paraissent, la communication est désastreuse, entre explications confuses, absence de pédagogie et discours fermé. Le clou est enfoncé, tabassé avec sadisme, lorsque Don Mattrick, responsable de la branche Xbox, s’autorise une déclaration qui va les conduire, lui et la Xbox One, dans le monde joyeux du mépris.

A Geoff Keighley qui lui demande si le tout en-ligne est un choix judicieux devant certaines réactions glaciales, il répond : « […] Pour moi, c’est le choix du futur, et je pense que le public serait parti ailleurs si nous ne l’avions pas fait. Et heureusement, nous avons un produit pour les personnes qui n’ont pas accès à une forme de connexion, il s’appelle la Xbox 360 » Et de poursuivre en précisant que par exemple, dans le cas d’un sous-marinier qui ne dispose pas du net, c’est une bonne alternative. Une tentative d’esquive ratée qui trouvera son dénouement face contre terre, après la conférence d’un Sony sans grandes idées mais avec une machine moins onéreuse et totalement ouverte. Un ensemble d’erreurs de communication incroyable dans le cadre d’un événement aussi important. L’apothéose arrive pourtant quelques jours plus tard, Microsoft opérant une marche-arrière totale avec la disparition de l’ensemble des sujets de controverse et un retour à une machine « standard ». En a résulté un sentiment global de confusion et de non-professionnalisme que la firme américaine a tenté de déguiser en une écoute attentive des retours du public. L’image, toujours l’image. Reste qu’une bonne partie des consommateurs en est resté sur la première impression et que la machine, malgré des ventes honorables, est désormais dépassée de loin par la PS4. Cette explosion en direct n’est pas l’unique responsable, mais a joué une place importante dans la conscience de consommateurs qui, par le bouche-à-oreille ou via la presse spécialisée – pour les plus informés – ont conclu à l’incapacité de Microsoft à répondre à une envie profonde, celle d’un statu-quo avec du 1080p.

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